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Musique : Sébastien Bertrand témoigne de son adoption

vendredi 14 octobre 2011, par Pierre François


Il a trente-cinq ans. Sébastien Bertrand a passé sa jeunesse avec un père ethnologue en Vendée à collecter les histoires et musiques traditionnelles. Il commence ses cours d’accordéon à dix ans, est vite reconnu comme un musicien de la culture vendéenne. Adulte, il devient une figure majeure dans l’univers des « musiques du monde » dès les années 90 et est assurément un enfant du pays. Même si parfois, pour s’amuser, quand il s’agit de demander une subvention pour un spectacle au titre étranger, il répond à celui qui lui dit Heureusement que toi, Sébastien, tu es vraiment un maraîchin pure souche : C’est sûr, je suis né à Beyrouth...

Un jour, il voit son ami Yannick Jaulin jouer dans Forêts, une histoire de quête écrite par le Libanais Wajdi Mouawad. Une écluse s’ouvre alors dans son cœur, et la nécessité de l’alimenter à la source. Quand Yannick Jaulin est invité à participer au salon francophone du livre de Beyrouth, il l’accompagne et va, de son côté, à l’orphelinat encore tenu par les sœurs de Saint Vincent de Paul retrouver son dossier, son nom, sa première maison, une tentative d’explication.

Au retour, ils réalisent tous les deux que cette histoire fait un bon canevas pour un spectacle. Et ils se lancent dans la conception d’un conte musical. Entièrement fait en tandem : ils s’installent dans la même pièce pour écrire, lui la musique et Yannick Jaulin les paroles, tout en se livrant le fruit de leur recherche au fur et à mesure, d’où une influence réciproque et un ensemble particulièrement cohérent.

Chemin de la belle étoile [1] est ainsi créé au festival d’Avignon en 2099 et a déjà dépassé les deux cents représentations en région et à l’étranger. La tournée est – pour le moment et provisoirement – prévue jusqu’en juin 2012. Mais, explique-t-il au sujet de sa volonté de se produire à Paris on a beau cartonner en régions – et à l’étranger – on redevient anonyme ici. Il en parle à une amie, adoptée comme lui, et Patricia Mowbray lui offre alors d’utiliser sa galerie d’art de Saint-Germain des prés. Coïncidence : les concerts auront lieu en même temps que la réédition de son livre sur le même thème  [2] ; complicité : un des concerts sera donné – le 7 novembre – au profit d’une association d’aide aux adoptés soutenue par cette dernière [3].

Hormis l’intérêt musical évident de l’événement, il était intéressant de savoir comment, à titre personnel, Sébastien Bertrand vivait sa situation. Car, pour une fois, on a affaire non pas à un spécialiste parlant de l’extérieur d’une réalité qu’il n’éprouve pas mais à quelqu’un qui, un jour, a ressenti le besoin de plonger vers ses premières racines, puis d’en parler.

Quand on lui pose la question de savoir pourquoi il parle si peu de son père biologique, il répond avec réalisme et simplicité que si on a une trace de celle qui est venue déposer son enfant, la personne du père reste un mystère, même si la date de son dépôt à l’orphelinat fait plus penser à une histoire d’amour qu’au nécessités de la guerre (qui n’a débutée qu’ensuite).

On réalise ensuite la profondeur de sa relation avec l’orphelinat et les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Si celle qui lui a souhaité la bienvenue dans [sa] maison n’est pas celle qui le recueillit (il ne reste qu’une personne qui était déjà là à l’époque, les sœurs quant à elles tournant de communauté en communauté), le lieu catalyse les affections et Sébastien Bertrand entretient une complicité amicale très forte avec une des sœurs, qui l’a invité à sa prise de voile.

Et si sa prise de parole à lui n’est pas comparable au fait de consacrer sa vie aux autres, elle procède néanmoins d’un désir de mettre sa propre histoire au service de l’histoire collective et de témoigner du fait que de même qu’il y a des trains qui arrivent à l’heure, il y a des adoptions qui se passent bien. On en est convaincu lorsqu’on l’entend parler de ses parents adoptifs. Il témoigne d’un véritable amour pour celle qui l’a cultivé après celle qui l’a fait pousser. Il est inutile de souligner sa complicité avec ce père qu’il accompagnait dans ses tournées d’enregistrements au magnétophone. Et il est touchant de l’entendre rassurer celle qui ne serait pas venue au monde sans lui, sa soeur née juste après son adoption. Il y a enfin cette évidence : il a aussi adopté la Vendée, car une adoption se fait dans les deux sens...

Les fruits de ce conte musical sont déjà là. Ce sont des spectateurs qui viennent lui dire à la fin d’un spectacle qu’eux aussi ont été adoptés ou, pour une vingtaine d’entre eux, sont passés par le même orphelinat que lui, et qui lui racontent une partie de leur vie. C’est la création d’une association – Rue Adib Nahas [4] – qui a pour but de donner des cours de théâtre, danse et musique aux enfants bénéficiant des services de la PMI attenante à cet orphelinat de Beyrouth. C’est enfin, et cela n’a pas de prix, la possibilité de partager une parole apparentée entre personnes vivant la même situation.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] Du 3 au 16 novembre, « Chemin de la belle étoile » à la « Galerie d’en face, 7, rue Paul-Louis Courier, ,75007, Paris, M° : Rue du Bac, tél. : 02 40 34 36 92, www.cahpa.fr. Le 7/11, concert exceptionnel au profit de l’association Racines d’Enfance, fondée par Patricia Mowbray.

[2] « A comme Adoption, la rencontre d’un désir et d’un droit », de Patricia Mowbray, éditions Pascal, 34, rue Broca, 75005, Paris.

[3] http://racinesdenfance.org/presentation.php

[4] http://adibnahas.blogspot.com/


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