Théâtre solo : N’être pas né

Il est difficile, après un spectacle proprement exceptionnel, de rester au sommet de son art. Yves Cusset, dont le critique de Marianne dit avec pertinence qu’il est un « Devos qui aurait fait Normale sup ! », pouvait-il après « Rien ne sert d’exister » et le « Manuel d’engagement politique », qui ont chacun totalisé plus de quatre cents représentations, faire encore mieux ?

On a le sentiment que c’est ce qu’il a essayé avec « N’être pas né » [1], en introduisant des parties mimées et des accessoires sur scène. En agissant ainsi il a en partie cassé son image, exclusivement liée à une maîtrise exceptionnelle de notre langue. C’est plus de cela qu’il s’agit et non d’un défaut d’inspiration de sa part quand on est tenté de faire la moue, en enfants qu’il a tant gâtés. En effet, au lieu de faire se succéder les jeux de mots du début jusqu’à la fin de son solo à une vitesse telle qu’on en saisit que la moitié à la première écoute, il les entrecoupe de variations durant lesquelles il s’appuie plus sur des effets visuels qu’auditifs.

Il faut donc être honnête et accepter de dire que si « N’être pas né » n’est pas aussi exceptionnel que les spectacles qui ont précédé, il reste quand même très bon. Et qu’en spectateurs ouverts, nous avons à accompagner les évolutions de style de son auteur. Car il reste égal à lui même, philosophe autant que poète, quand il nous assène qu’ « épaté par ses tétons, je me suis laissé tenté par la tétée, et tout têtard que j’étais, je me suis même entêté à devenir un téteur patenté, cédant à la tentation avec ostentation. Je sais aujourd’hui que si j’existe, c’est parce que j’ai tété. Mais eut-il été possible qu’à l’époque même où je tétais, je le susse ? ».

Pierre François