Théâtre : restitution

« Le professionnel » [1], qui est un spectacle soutenu par le Centre culturel serbe de Paris, est une pièce étrange, envoûtante. Elle est comparable aux dernières pages d’un roman policier, quand le mystère reste atteint son point culminant avant de trouver son explication. Le texte est situé à la fois dans le temps et l’espace. On est à l’époque où il n’est pas possible de vouloir retirer d’un mur, même en ayant l’excuse de l’ébriété, un portrait de Tito : le simple fait de le demander fait mériter une surveillance policière.

Dire que cette pièce traite des rapports entre la police et les intellectuels serait très réducteur.

On y traite aussi d’une forme de paternité invisible ou des consciences politiques et morales selon que l’on est libre dans sa tête ou de ses gestes. De la lucidité de celui qui a tout vu et de l’aveuglement de celui qui croit tout possible. Le texte de cette pièce est à cet égard très pénétrant, c’est même une leçon de chose sur le pouvoir.

Le choix de mise en scène est celui du réalisme : les collègues qui se vengent d’une promotion en faisant des allusions sur les origines du lauréat, la secrétaire qui sent la complicité qu’elle avait avec son patron fondre, le décor gris et bordeaux d’un bureau sans imagination, tout cela campe une situation des plus banales.

Cette caractéristique souligne d’autant plus le côté anormal de la visite que reçoit ce jeune directeur de collection chez un éditeur.

Le jeu des protagonistes, par sa sobriété, donne d’autant plus de crédit aux personnages et à l’histoire incroyable qui se déroule devant nos yeux. Reste une question dont la réponse reste floue : le mobile. Transfert d’affection, admiration, souci de transmettre une expérience de vie, volonté de restitution , désir de reconnaissance ? Peut être un peu de tout cela, mais qu’importe : dans la vie aussi rien n’est pur, et ce sont pourtant nos motifs impurs qui font avancer le monde.

Pierre FRANCOIS