Théâtre : le Festival de caves

Le « Festival de caves » [1] est une initiative inattendue au succès certain. Soit un metteur en scène auquel le musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon demande, en 2005, un spectacle pour célébrer la libération des camps. Notre homme choisit de monter le journal du philologue allemand Victor Klemperer. Mais surtout réalise que le contexte commande de retrouver l’esprit des origines du théâtre : la confidentialité des mystère d’Éleusis, lesquels remontent aux temps préhelléniques, sans doute vers 1800 A.C. (si on fait abstraction de quelques peintures rupestres préhistoriques).

Il met donc en place un système dans lequel on donne rendez-vous aux spectateurs en ville pour les conduire ensuite dans un lieu secret, clandestin. Ce sera la cave de la Préfecture, dans laquelle les participants pénétreront après avoir franchi une grille gardée par des plantons.

L’expérience est si marquante que tous réalisent qu’il lui faut un prolongement. Guillaume Dujardin définit alors les règles qui gouvernent le futur festival – rendez-vous en ville, titre et durée du spectacle inconnus, sujet libre du moment qu’il commande le secret – et contacte des amis comédiens auxquels il donne carte blanche. On est en présence d’un organisateur de festival qui en ignore le contenu... et confesse qu’en sept éditions il n’a été déçu que par deux spectacles.

Cette belle histoire de confiances reçues et données devient rapidement contagieuse. D’autres villes s’y intéressent. Le festival devient inter-régional et les spectacles se donnent en plusieurs endroits (pour les seules créations programmées cette année : Besançon, Lons, Lyon, Strasbourg, Arbois, Planoiseau, Nantes, Orléans, Dole, Saint-Claude, Courchaton, Villersexel, Rioz, Busy, Karlsruhe et Saint-Louis) durant le temps du festival. Avec humour, Guillaume Dujardin dit qu’il a « franchisé » son festival dans plus de trente villes.

La trentaine, c’est également le nombre de comédiens ou chanteurs qui interviennent cette année, dans le cadre des seize spectacles invités, cinq créations et une coproduction. S’il serait malséant de trop dévoiler le sujet des œuvres en question, disons que – en se limitant aux seules créations – chacune d’entre elles a un rapport avec le secret : secret de l’atelier personnel de Goya, de la chambre d’hôpital dans laquelle Aby Warburg recouvra la santé mentale, des convictions intimes de Godard, du débat de conscience de Mademoiselle Else. Une belle idée, une belle aventure, de beaux spectacles, que demander de plus ?

Les mystères d’Éleusis

Il s’agissait de cérémonies vouées au culte de Déméter et à la mort-résurrection de la nature à travers la disparition du grain qui donne une nouvelle récolte. Ceux qui y participaient étaient tenus au secret de sorte qu’on en a jamais connu le contenu. Quatre sortes de personnes y assistaient. Les mystes, qui devaient se présenter parlant le grec et purs de tout homicide, y arrivaient pour la première fois. Puis, venant une seconde fois, les mystes initiés voulant gravir un échelon supplémentaire. Une fois cette formation faite, ils devenaient des époptes, troisième classe de participants. Enfin, il y avait les prêtres qui présidaient les cérémonies. On suppose que, dans la logique du passé mort ouvrant la voie à la révélation du futur, on y consommait du blé qui avait fermenté et avait été contaminé par l’ergot de seigle lors de sa conservation, ce qui lui donnait un pouvoir hallucinogène considéré comme révélant l’avenir.

Pierre FRANCOIS