Théâtre : Vis ma vie, fable futuriste ou de pure fiction ?

« Vis ma vie » [1] est une fable futuriste, si on est pessimiste, ou de science-fiction, pour les optimistes. Deux « zurbains »se trouvent dans une boîte de conserve mobile lancée à fond de train, entre un chez-soi compresseur de population et l’infini de l’azur liquide, où ils s’apprêtent à décompresser. Ils ont d’ailleurs déjà commencé, en admirant le paysage qui défile sous leurs yeux, tel un film muet coloré. Cette campagne est tellement enchanteresse qu’ils se rendent dans une agence de voyage, convaincus que l’envers du décor est encore plus merveilleux que l’apparence soumise à leurs regards. Ce type de voyage est le plus cher tant il est plus compliqué à mettre sur pied qu’un séjour aux Maldives, une randonnée dans le désert de Gobi ou une rencontre avec les dernières tribus berbères. Ce programme d’immersion dans un contexte si étranger aux « zurbains » est d’ailleurs appelé « vis ma vie », celle des « ruraux ».

La rencontre entre les deux mondes tient du choc des civilisations sous le parrainage d’A. Huxley.

Comme souvent lorsqu’il est important d’aller de l’avant, ce sont des femmes qui créent le mouvement – on s’en rend bien compte dès les dialogues qui ont lieu avec le voyagiste – les hommes ayant renoncé à changer un monde qui les broie. Peu importe que ce désir de découverte soit dû à une dose massive d’illusions et de naïveté mâtinées d’un bon zeste de romantisme de hall de gare ; il mène vers une vérité et c’est cela seul qui importe.

La pièce rend bien compte du caractère artificiel du monde urbain dans lequel les individus n’échangent plus d’idées mais juste des informations, au moyen de groupes de mots minimaux et saccadés. Ainsi que du désespoir des « ruraux » condamnés à vivre dans une prison à ciel ouvert, où il n’est rentable d’amener ni le savoir ni les moyens de communication.

Le jeu est parfaitement crédible et en phase avec la mise en scène, laquelle sait entretenir le suspense et poser les bonnes questions sur le mode du divertissement. Bref, c’est à la fois un spectacle original, enrichissant et distrayant.

Pierre FRANCOIS