Théâtre : Une Scène

« Une » scène » [1], de Diastème, est une pièce aussi étrange qu’attachante. Étrange dans la mesure où elle joue avec la chronologie à un point tel qu’on ne sais plus quel événement précède lequel. Au début de la pièce il est dit qu’elle va être jouée à l’envers pour que la fin soit gaie mais elle est parsemée de tant de retours en arrière qu’on ne peut plus reconstituer l’évolution entre les différentes étapes de cette histoire d’amour. Attachante, parce qu’elle montre l’amour entre deux êtres d’une façon parfaitement authentique. À chaque fois, on a soit le sentiment d’avoir vécu la situation, soit celui que c’est sûrement de cette façon que les choses se passent.

Le seul décor de la pièce est constitué de deux chaises, qui seront occupées par les protagonistes. L’éclairage met en relief la dureté du contexte. Les regards expriment à eux seuls la douleur qui est celle de ce couple en fin de course. Chacun a ses forces et ses failles, et va utiliser les premières pour tenter de cacher les secondes. Par exemple, l’homme, en début de pièce, ne répond à la femme que par ces citations. Mais une évolution se produit et, à la fin, c’est plutôt elle qui joue avec lui. À la fin ou au début ? On a déjà vu que la question est vaine, et ce caractère montre combien tout ce qui est déjà arrivé ou arrivera est contenu, en germe ou en souvenir, dans chaque tableau de la pièce.

Les dialogues sont souvent aussi justes que littéraires. « Peut-être que je préférerais m’ennuyer avec toi que m’amuser avec d’autres » ou « tu crois qu’on peut manquer sa vie comme on peut manquer un virage ? » n’en sont que deux exemples. Cette pièce fait ainsi l’effet d’un condensé. De sentiments comme d’histoires d’amour de façon plus générale. Elle ne s’écoute pas simplement, elle se voit – l’interprétation est très juste – et se déguste, comme on songe apaisé à des moments par lesquels on est passé ou qu’on aurait pu connaître.

Pierre FRANCOIS