vendredi 18 janvier 2008, par Pierre François
Condamner le vice et garder sa tendresse au pécheur, telle est l’attitude traditionnelle idéologique de l’Église, mais aussi celle qui en pratique fait un excellent théâtre…
« C’était moi » [1] est un spectacle sublime de Jean Bois. Une femme, qui fut belle et reste libre, vit la honte de sa dépendance à l’alcool. Tout au moins parvient-elle à ne céder à son penchant qu’à partir de dix-huit heures.
Cette pièce pleine de délicatesse et de tendresse pour tous les protagonistes, observe et montre sans juger. Oui elle a honte, ce qui est le signe paradoxal de sa dignité. Oui sa sœur est bouffie de jalousie et compense en dépensant l’argent de son mari, mais n’y a-t-il pas là l’expression d’une admiration que les évènements de la vie ont bâillonnée. Oui l’ami de toujours qui aurait bien aimé devenir mari est parfois un peu gauche ou un peu menteur, mais on a sa fierté. Oui, le jeune premier veut séduire cette femme mûre rien que pour faire bisquer son aîné, mais ne commence-t-on pas sa vie affective avec une bonne dose de bêtise ?
Tout ce petit monde se croise et se jauge, de la façon la plus humaine qui soit : avec un mélange immiscible de bonté et de mesquinerie, d’intérêt et d’altruisme, de noblesse et de petitesse… On rit énormément, et très sainement. C’est joué d’une façon homogène et magistrale. Et on ne se rend même pas compte que le texte est en vers, comme dans Cyrano de Bergerac, ce qui donne une idée de sa qualité !
« J’aime les baignoires d’eau chaude qui peuvent encore nous faire le coup du cher liquide amniotique » est un exemple de la richesse du vocabulaire associée à la poésie de la pensée. Car c’est à travers une forme très élégante qu’est décrite la nudité, la cruauté des sentiments, de sentiments universels. Le style est toujours léger, les lumières sont soignées, le décor est tout à la fois sobre et beau, les scènes d’ivresse sont parfaitement dosées. Et surtout cette pièce met en évidence comment une dépendance rend asocial et empêche de mener une vie de travail, mondaine ou amoureuse. Et on se rend bien compte que ce qui est ici vrai pour l’alcool l’est pour toutes les accoutumances qui commencent sans exception par se présenter comme des libérations.
Pierre FRANCOIS
[1] « C’était moi (cet émoi) », de Jean Bois, avec Jean Bois, Dominique Constantin, Elisabeth Maby, Rémi Préchac. Au théâtre « Le Passage vers les étoiles », 17, cité Joly, Paris-11e, M° : Père Lachaise, jusqu’au 23 février à 21 heures. Places à 18 €, TR : 12 €. Tél. : 01 43 38 83 45.