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Theâtre : Play Strindberg à l’Atalante

vendredi 16 février 2007, par Pierre François


Un homme et une femme caricatures de virilité et de féminité, un intrus que tous deux vont vouloir dominer : qui va gagner ?

Il y en a qui ont l’humour grinçant involontaire, ainsi Alain Alexis Barsacq quand il explique que Dürrenmatt – dans Play Strindberg [1] – a transformé la Danse de mort, œuvre noire et misogyne de Strindberg, en simple pièce pessimiste. Même si le rôle du cousin, d’épouvanté chez Strindberg, devient celui d’un être aussi abject que les autres chez son adaptateur. Mais Alain Alexis Barsacq sait de quoi il parle : c’est en tant qu’assistant de Dürrenmatt qu’il put mesurer combien ce dernier avait une vision violente de la société. Ce passé lui permet de créer une mise en scène juste de cette pièce, qui tienne compte de ses aspects symboliques. En effet, ce n’est pas l’histoire d’un vieux couple qui se déchire que Dürrenmatt donne à contempler, mais sa vision de la société, et il le fait comprendre en situant l’action sur une île.

On rit pourtant beaucoup dans cette pièce. Mais si on sait que Dürrenmatt s’inspirait beaucoup de son grand-père qui fut satiriste, on comprend combien c’est la réussite de la caricature qui déride, pas la légèreté de la situation. Au contraire, c’est l’oppression qui règne en maîtresse sur le plateau : oppression de la mort qui rôde et contre laquelle le pouvoir de cet homme de commandement ne peut rien, oppression d’une haine désormais affichée et réciproque, oppression enfin d’un passé qui resurgit avec ses ambiguïtés amoureuses et ses occasions supposément ratées. On note que face à une vision encore patriarcale du foyer (Je dresse ma femme), les spectatrices sont loin d’être les dernières à rire.

Ce qui se dit au-delà d’une pièce en onze round – et non pas scènes – est que les puissants peuvent mal se conduire, que dans le couple comme dans la société la question essentielle est de savoir qui a le pouvoir sur qui, que l’individu ne fait que s’adapter à la férocité de la société, jusque dans sa vie privée.

Mais comment un message si pessimiste peut il captiver le public ? La pièce recèle, à partir de son milieu, les ressorts et rebondissements que l’on trouve dans un bon roman policier (et Dürrenmatt fut d’abord connu pour ses polars avant de l’être pour son théâtre). Qui va gagner le combat sur les deux autres ? La femme fait elle le bon pari en souhaitant la mort de son mari ? Celui-ci est-il aussi pauvre – ou aussi riche – qu’il le dit ? Pourquoi le cousin revient-il s’enterrer dans un endroit désert s’il n’a rien à se reprocher et a réellement réussi dans la vie ?

Il serait malséant de n’évoquer que la présence de deux des comédiens qui jouèrent aussi dans Avant la retraite pour souligner l’excellence de l’interprétation. Le cousin Kurt est tout aussi juste dans son personnage filandreux de spectateur qui en dit moins qu’il n’en voit et dont on ne sait jamais la pensée profonde. Être d’apparence mesuré, il ne parvient pourtant pas à dissimuler le feu qui couve sous la braise. Enfin l’arbitre qui, avec sa cloche, rythme le début de chaque round tout en en donnant le titre (Enfin une musique, Edgar donne des ordres, Évanouissement, etc) tient parfaitement son rôle de personnage encore plus extérieur que le cousin, sorte de M. Loyal pratiquement muet.

Chaque réplique arrive comme un uppercut, rythmée et mise en valeur par le silence qui l’a précédée. Parmi les échanges les plus doux, on retiendra : – C’était une catastrophe ! – Ton divorce ? – Non, mon mariage. Mais il y a encore : -Pourquoi vous vous haïssez ? – Aucune idée. – Il doit bien y avoir une raison ? – C’est mon mari… Ou, pour terminer ce florilège : – Complètement guéri : j’ai encore vingt ans à vivre – Ça promet… Décor, lumières et costumes forment un tout sans cesse au service du texte et du jeu, là aussi c’est un régal.

On se rappelle alors ce que disait le metteur en scène au sujet de ce que doit être un bon spectacle : un divertissement, mais qui donne aussi à réfléchir. Et, de ce point de vue, c’est magistral !

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] Play Strindberg, de Friedrich Dürrenmatt, trad. W. Weideli. Avec Agathe Alexis, Philippe Hottier, Philippe Morand, Jaime Azulay. Mise en scène de Alain Alexis Barsacq. Du mercredi au lundi à 20 h 30 sauf dimanche (17 heures), supplémentaires le samedi à 18 heures, jusqu’au 25 février. Á L’Atalante, 10, pl. Charles Dullin, Paris-18e, M° : Anvers, Pigalle, Abbesses. Tél. : 01 46 06 11 90. Se donnera aussi en Suisse : le 28 février à Moutier, le 4 mars à Delémont, le 12 à Bienne et du 14 au 18 à Neuchâtel.


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