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Théâtre : Œdipe, de Voltaire

jeudi 19 janvier 2012, par Pierre François


« Œdipe » [1], de Voltaire, n’avait pas été donné depuis 1852 alors que cela a été la tragédie la plus jouée au XVIIIe siècle. Ce qui est une originalité est-il un gage de qualité, l’Histoire ayant fait un tri défavorable au théâtre dans les œuvres de Voltaire ? Eh bien oui !

Certes, on trouve distillé tout au long de la pièce l’anticléricalisme féroce de l’auteur de « Candide ». La façon dont il ne peut s’empêcher de lancer des piques – alors qu’il adulait les Jésuites chez lesquels il avait fait ses études – en est presque comique, mais au moins doit-on admettre qu’elles visent à chaque fois juste, et sur des points qui seront éternellement actuels tout simplement parce que si être chrétien faisait de nous des saints, cela se saurait depuis longtemps. Hélas, la distinction entre le péché et le pécheur, la tension vers la perfection et cette dernière, est toujours aussi mal admise. Le paradoxe est que l’auteur met son anticléricalisme (« ils approchent des dieux mais ils sont des mortels », « notre crédulité fait toute leur science »...) dans la bouche de Jocaste qui, par amour, est celle qui se trompe le plus. Et on peut penser qu’il était trop intelligent pour ne pas le faire à dessein...

Pour le reste, il s’agit d’une œuvre en vers et, si les premiers déconcertent, très rapidement la diction devient fluide et acquiert ce balancement agréable à l’oreille qui rend la compréhension facile. Les éclairages sont travaillés, justes, en phase avec l’ambiance du moment. Une musique, renforce l’aspect mystérieux, étrange, de la situation. Les costumes rendent le propos intemporel, actuel et éternel, ce qui est une pique supplémentaire : les dieux, au lieu de se jouer d’ Œdipe une fois dans l’Histoire, à un moment fondateur, s’acharneraient-ils à faire de tous les puissants honnêtes des Œdipes criminels en puissance ?

Le jeu est crédible, même si Jocaste est un tout petit peu en décalage avec ses partenaires (elle l’est aussi par le vêtement, plus contemporain que les autres). En début de pièce Œdipe souffre – mais durant très peu de temps – de n’avoir pas encore de drame à se mettre sous la dent. Rapidement se construit une ambiance globale, lancée par le grand-prêtre et le prince Philoctète. À partir de là les personnalités se révèlent en même temps que le mystère s’épaissit. Et c’est une nouvelle fois le couple grand-prêtre – Philoctète qui introduit le moment des déchirements dans l’âme d’Œdipe comprenant de plus en plus qui il est. De la même façon que Jocaste a été très crédible en début de pièce lorsqu’elle a dû jouer le trouble devant son amour de jeunesse, Œdipe l’est-il lorsqu’il s’aperçoit qu’il veut et redoute de savoir qui il est puis lorsqu’il l’a compris. Mais il serait injuste de ne pas souligner le jeu des autres personnages, depuis le grand-prêtre jusqu’au serviteur et à la servante : cette dernière joue parfaitement la confidente de Jocaste tandis que celui-là joue aussi parfaitement le regard inquiet et gêné lorsqu’il assiste à la méprise d’Œdipe face au messager corinthien ou quand il tourne la tête en entendant la dispute entre les deux héros.

Malgré l’heure tardive à laquelle elle est donnée, cette pièce ne risque pas de laisser le public s’endormir, loin de là...

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] « Œdipe », de Voltaire. Avec François Chodat, Vincent Domenach, Luc Ducros, Marie Grudzinski, Antoine Herbez, Juliette Wiatr. Mise en scène : Jean-Claude Seguin. Du mardi au samedi à 21 h 30, dimanche à 15 heures jusqu’au 4 mars au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame des champs, 75006 Paris, tél. : 01 45 44 57 34.


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