Théâtre : Manuel d’engagement politique

Le « Manuel d’engagement politique » [1], par et avec Yves Cusset, cet ex-professeur de philosophie qui a divorcé du ministère de l’Éducation nationale, est actuellement joué au théâtre de Ménilmontant.

Si on accepte les deux axiomes de base de son raisonnement, à savoir qu’un spectacle « engagé » est forcément de gauche et que Dieu est de droite, on ne peut que savourer les pirouettes tant linguistiques que logiques dont son spectacle est émaillé. Elles sont d’ailleurs le sel de sa pièce sans cesse surprenante. Il commence d’ailleurs fort, avec une interview de Giscard d’Estaing évoquant la Providence. Le décor est dans le même ton, qui n’est fait que de masses translucides tour à tour colonnes, tabourets ou boites. Il n’y a qu’un pupitre sur la nature duquel on ne peut se tromper.

Le jeu de mots est perpétuel. « il faudrait éteindre la télévision pour se libérer de ses chaînes » est un des plus basiques. Car il peut aussi y avoir : « torpeur, peur d’avoir tort, tort d’avoir peur, torpiller sa torpeur », par exemple.

La plongée au royaume des illusions qu’on se donne est également un ressort de la pièce, tel cet homme qui croit être à la tête d’une « manifestation de masse de solitaires discrets » lorsqu’il se trouve dans le flot d’une foule sortant du métro.

Dans quel registre humoristique doit-on classer le fait que son sommeil soit « militant » puisqu’il est « à poing fermés », du jeu de mots ou du jeu logique ? Mais l’homme étant lui-même inclassable, il est plus prudent de jouir de son spectacle sans se poser de question superflue, qui risquerait de faire perdre le fil d’un discours bien affûté.

Et, s’il proclame qu’« aux pauvres le royaume des Cieux mais aux riches les paradis fiscaux » ou que « la droite libérale défend la liberté mais la droite conservatrice défend la liberté », cela ne l’empêche pas de proclamer qu’« avec les socialistes on avale de l’air et on ballonne », si bien qu’il a décidé d’« aider le PS à rester dans l’opposition ».

En prennent également pour leur grade les communistes, les consommateurs, les footballeurs... bref, on n’a pas le temps de s’ennuyer une seconde dans ce spectacle qui requiert une écoute – on est d’ailleurs hypnotisé par le verbe du comédien – de tous les instants pour ne rien en perdre !

Pierre FRANCOIS