Théâtre : Les travaux et les jours

« Les travaux et les jours » [1] est une pièce poétique avec le risque inhérent à ce style : ça passe ou ça casse selon que l’on partage ou non la sensibilité qui s’exprime. L’auteur, Michel Vinaver, a été durant trente ans P-DG de Gillette France le jour et écrivain clandestin la nuit. Comme par hasard, plusieurs de ses pièces traitent du monde du travail et les salariés étaient sidérés de voir à quel point un homme de théâtre était capable de restituer leur réalité quotidienne...

Cette pièce fait partie de ce cycle. Écrite en 1977, publiée en 1978, elle traite des premières restructurations industrielles – la crise du pétrole de 1973 est en train de manifester l’ampleur de ses effets – et peut prétendre à un caractère prophétique : on est à la veille du second choc pétrolier.

Alors, pièce datée ou non ? Pour l’un, salarié d’une S.A. dont le chiffre d’affaire dépasse les deux mille millions d’euros, il y a dans la pièce une humanité – même si elle est montrée comme étant en danger – qui est aujourd’hui remplacée par un harcèlement et une course à la performance. Pour l’autre, qui a toujours travaillé dans de petites structures – monde évoqué par la pièce – on a là le portrait d’un monde encore actuel. Ce qui est certain, c’est que cette pièce possède la puissance de ces spectacles qui montrent en se refusant à juger ; du coup c’est au spectateur de se forger un avis lui-même.

Le mélange entre vie privée et vie de bureau, humanité et hypocrisie, désir de fête et dépression, tout cela est très bien dosé et donne un spectacle parfaitement crédible. Le fait que la mise en scène ait pris l’option d’accessoires parfaitement courants dans un bureau mais les utilise dans un contexte qui n’a rien d’illustratif ( horloge tournant dans les deux sens, chaises de secrétaires devenant supports de chorégraphies...) est à la source de la poésie de cette pièce. Et c’est sans doute là le premier – mais pas le seul... – tour de force de ce spectacle : créer de l’onirisme avec des meubles on ne peut plus fonctionnels !

Pierre FRANCOIS