Théâtre : Le Cri, ou la Bible mise en scène

Reprise ou ré-création (distribution et mise en scène étant remaniées), « Le Cri » [1]est un spectacle original.

C’est d’abord une pièce dont le texte est exclusivement constitué de passages bibliques et qui est montée par un metteur en scène professionnel. Il est fréquent que des artistes s’intéressent à la parole sacrée, leur métier les poussant à exprimer l’invisible. Mais leur approche est généralement fragmentaire ou allusive : une pièce de théâtre, si elle est proclamation d’une parole qui se veut (émotionnellement) vraie, n’est pas un cours de théologie. Ici, Laurent Poncelet a utilisé sa connaissance de l’Écriture pour faire entrer en dialogue plusieurs passages, tous reliés par le fait qu’ils sont cris de l’homme vers Dieu ou de Dieu vers l’homme. Cris de joie ou de peine, d’amour ou de haine, peu importe du moment qu’ils incarnent notre humanité. Ce dialogue n’a rien d’intellectuel (les passages ne sont pas regroupés par thèmes), mais emprunte le chemin contemporain (qui aboutit à ce que certains préfèrent la sincérité à la vérité) de l’émotion. En tant que dramaturge, c’est là son outil de travail quotidien, sa spécialité.

C’est ensuite une pièce qui va tourner tant dans des lieux professionnels (la troupe a d’ailleurs commencé par bénéficier d’une résidence à l’espace culturel Paul Jargot de Crolles) où Laurent Poncelet est déjà connu comme organisateur d’un festival international biennal de théâtre action, comme dans des paroisses ou même un centre œcuménique.

Comment se fait-il que ces derniers endroits ouvrent leurs portes à des comédiens qui ne soient pas bénévoles ou du sérail ? On trouve une esquisse de réponse dans les propos du Père Nabil et du laïc qui tient les cordons de la bourse à la paroisse d’Allevard : si tous deux partent de perspectives différentes (pour le père, la représentation qui sera donnée s’inscrira de par sa date dans la montée vers Pâques et pour l’économe il s’agit de mettre en valeur le côté culturel de la Bible), ils sont également séduits par le fait que le texte soit dit à travers des corps et des émotions, ce qui change d’une lecture trop intellectuelle de l’Écriture.

De fait, pour avoir assisté au second jour de répétition, il est clair que le texte est porté par les sentiments de celui qui l’énonce. L’expérience va loin, car la lamentation de Job sur lui-même ou le passage « bienheureux celui qui fracassera la tête de tes nouveaux nés sur le roc » doivent être dits avec le désespoir de la personne en fin de droits ou la haine de l’homme privé de voir ses enfants, sans obliger l’auditeur à comprendre dans quel contexte le texte avait été écrit. Heureusement, d’autres passages appellent confiance ou sensualité, espoir ou tranquillité... C’est le rôle de la musique (car le spectacle est à la fois théâtral, musical et dansé) que de se situer tantôt en contrepoint, pour adoucir la violence verbale, ou bien en soutien d’un autre passage, sans jamais écraser le texte.

Enfin, on reste émerveillé de la rapidité avec laquelle, en une après-midi de répétition, les comédiens s’approprient les différentes nuances de leurs personnages. Leur travail est très prometteur.

Pierre FRANCOIS