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Théâtre : "La Dispute", de Marivaux

vendredi 18 janvier 2008, par Pierre François


« La dispute » de Marivaux n’a rien de violent : il s’agit de savoir qui des hommes ou des femmes a le premier trahi l’amour de l’autre. Toute la science de Marivaux servie par des comédiens convaincants…

« La dispute » [1] de Marivaux tient plus du conte philosophique que de la comédie. Il s’agit, pour un couple de vieux libertins, de savoir quel sexe est à l’origine de l’infidélité. Il se trouve – les choses sont toujours bien faites au théâtre – qu’un parent du prince, à l’issue d’un même débat, avait enfermé deux garçons et autant de filles nouveau-nés dans un château où chacun a vécu complètement isolé, ignorant jusqu’à l’existence d’un sexe opposé et à celle d’autres personnes du sien. Il y a dix-huit ans de cela et le moment est venu d’ouvrir les portes, histoire d’observer ce qui va se passer. On assiste à la découverte de soi, dans l’onde d’un ruisseau puis dans un miroir, à celle du semblable puis à celle du complémentaire. Marivaux s’amuse beaucoup, la maîtresse du prince un peu moins et le public suit ce suspens sans bouder son plaisir.

Le couple d’observateurs formé par Hermione et le prince fonctionne selon des règles propres en ce sens qu’il est le reflet d’une réalité. Pour le prince : « nous nous soucions bien moins de nous connaître que de jouir et l’âme jouit quand elle sent ». La démarche d’Hermione est plus interrogative, plus tendue aussi, peut-être pressent-elle la découverte des sentiments comme celle d’une forme de souffrance ou de mal ? Le dialogue qu’ils ont en introduction de la pièce est tellement fin qu’on adhère aux propos tenus par l’homme comme par la femme : on trouve là tout le talent de Marivaux servi par des interprètes de haut vol. Alors qu’en principe ces deux observateurs devraient par la suite rester neutres, on voit Hermione ne pouvoir s’empêcher d’intervenir lorsqu’elle voit poindre le danger de l’inconstance dans les relations, au nom de la constance de l’amour propre que chacun se porte.

Du côté des jeunes qui découvrent tout à la fois l’altérité et les sentiments qu’elle inspire, finalement comme n’importe quels adolescents, on est dans un domaine plus onirique. Il est seulement dommage que la scène dans laquelle les filles se découvrent à travers un miroir sans tain soit un peu répétitive. Mais cela n’empêche pas de croire à tous leurs personnages, non pas parce qu’ils seraient fidèles à une réalité (comment le pourraient-ils, avec de telles prémisses ?) mais parce qu’ils expriment les sentiments de tout un chacun de façon nette et nue.

Le besoin de séduction de la femme, celui de possession de l’homme, qui sont tellement puissants qu’ils vont gouverner jusqu’au désir ou au rejet de l’autre, sont très bien montrés. La façon dont on se ment à soi-même aussi. L’universalité des lois étalées sur la scène est renforcée par le fait que les jeunes personnages se ressemblent étrangement. Et qu’on ne sait exactement où l’on est. En principe, dans un théâtre, royaume de l’apparence, mais en est-on si sûr tellement ce lieu est imprécis, fantasmagorique, sorte de matrice réchauffée par un éclairage ambre. Ce n’est pas l’endroit ou la vraisemblance qui importent, mais la transmission de convictions simples sur nos natures d’hommes et de femmes. Et de ce point de vue la pièce est très convaincante, tant à cause du talent de Marivaux que de ses interprètes. Il n’y a qu’une seule réserve à exprimer, mais qui concerne la salle et non la pièce : sa moiteur est dangereuse pour l’attention, et il est préférable de descendre dans les gradins si on ne veut pas être pris d’un irrépressible besoin de repos…

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] « La dispute », de Marivaux. Avec Féodor Atkine, Hélène Bosc, Arno Chéron, Julien Defaye, Soizic Gourvil, Hervé Herpe, Nicole Kaufmann, mis ne scène par Filip Forgeau. Mardi, mercredi, vendredi à 20 h 30, jeudi, samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30, jusqu’au 17 février au théâtre 13, 103 A, boulevard Auguste Blanqui, Paris-13e, M° : Glacière. 1 h 40 sans entracte. Places à 22€, TR 15€. Tél. : 01 45 88 62 22.


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