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Theâtre : Jeanne au bucher en tournée

mardi 1er juin 2010, par Pierre François


Entrer soi-même dans une démarche de pèlerinage pour jouer une pièce de théâtre à des pèlerins, l’attitude est rare. Quand elle est le fait de comédiens professionnels et talentueux, encore plus. Tel est pourtant ce qui va se passer durant tout le mois de juin au long du chemin de Compostelle.

Des comédiens qui partent en tournée, il y en a tous les jours. Pour jouer du Claudel, beaucoup moins. Mais une troupe qui joue « Jeanne au bûcher » sur les étapes [1] du chemin de Compostelle, se contentant pour elle-même de loger dans les abris du pèlerin, c’est rare. Telle est pourtant la démarche du Théâtre En Pièces de Chartres, qui mène là une aventure doublement bien rodée.

Quant à la pièce d’abord : il s’agit de la reprise de ce qui a été joué en octobre 2009 dans le cadre du musée des Beaux-Arts.

Quant à l’itinéraire ensuite : il y a deux ans, la compagnie a déjà couru la même aventure, avec « L’annonce faite à Marie » - déjà du Claudel – alors offerte 36 fois aux pèlerins, dans des lieux presque tous religieux. Après avoir été jouée 27 fois à Chartres, à ceux qui étaient déjà « en route » dans leur tête à défaut de pouvoir cheminer avec leurs pieds. Pour l’anecdote, on note qu’il y eut autant de voyageurs immobiles (4100) à venir voir la pièce à Chartres que de pèlerins transpirants et de gens du cru (4500) à la méditer à l’étape.

Certes, ce type d’organisation comporte des risques, celui par exemple de recevoir un coup de téléphone trois semaines avant la représentation pour l’annuler, parce que l’église prévue sera utilisée pour un mariage. Mais au-delà de ces péripéties, on est dans une démarche rare : celle d’un directeur artistique professionnel qui, dirigeant des comédiens talentueux, inscrit en lettres capitales dans le tract qui annonce son spectacle « Je veux associer art et acte de foi » tout en restant entièrement libre à la fois dans sa recherche et son expression. Démarche rare parce que proche du suicide dans un milieu ou l’art se voit comme fin en soi. De même qu’auprès de ceux qui ont besoin d’être rassuré au point de vouloir que l’artiste proclame sa foi dans les mêmes termes qu’eux.

Au lieu de cela, Emmanuel Ray dit : « Nos voix intérieures sont nos questionnements, notre singularité, notre égoïsme, notre don. Elles sont les sources de nos aspirations. Elles sont humaines, elles sont autres... ».

Partir en tournée, c’est naître et mourir chaque jour, installer et remballer le plateau, les projos, des kilomètres de fils. C’est accepter la pauvreté de loges qui se réduisent à un portant dans un coin, en plein courant d’air, ou le fait de devoir parfois jouer « au chapeau », parce qu’on ne peut pas faire payer l’entrée dans une église. C’est vivre l’incertitude, se réjouir le jour où le lieu qui accueille offre un repas commandé chez un traiteur de même que lorsqu’il ne fournit que quelques méchants sandwichs. C’est aussi semer en avançant, sans voir si le sillon verdit derrière soi.

Et c’est, d’abord et avant tout, être complètement professionnel. Or, « Jeanne au bûcher » l’est. Il y a la musique trouble, du grégorien trahi, qui se fait entendre jusqu’au début de la pièce, lorsque Jeanne d’Arc est en train de mourir, pour ensuite laisser place à celle, spirituelle et équilibrée, de Messiaen. Il y a la comédienne qui sait faire passer, par son attitude, cinq émotions à la minute. Il y a le frère Dominique, qui est interprété de façon si masculine, qu’il s’agit de protéger ou de chercher à comprendre, face à une Jeanne qui garde son mystère. Il y a... une très belle pièce, très bien interprétée ! Merci.

Pierre François

Notes

[1] Si les horaires (21 heures en semaine, 18 heures le dimanche) et les coordonnées pour réserver (02 37 33 02 10, theatre-en-pieces@wanadoo.fr) ne changent pas, le tarif (12 €) est parfois susceptible de modification et les endroits sont aussi variés que les dates : le 5 juin à l’église saint Orien de Meslay le Grenet (28), le 6 à la chapelle d’Yron au Cloyes-sur-le-Loir (28), le 8 à la chapelle saint Jacques de Vendôme (41), les 9 et 10 à l’église N.-D.-la-Riche à Tours (37), le 11 à la crypte de l’église de Sainte-Maure-de-Touraine (37), le 12 à la bergerie du château des Ormes (86), le 13 à l’abbaye de l’Étoile d’Archigny (86), le 17 à l’abbaye de saint Martin de Ligugé (86), le 18 à la Commanderie des Antonins de Saint-Marc-Lalande (79), le 19 à l’église saint Brice de Saint Mandé sur Brédoire (17), le 20 à l’église saint Savinien de Melle (79), le 22 à l’abbaye Royale de Saint-Jean d’Angély (17), le 23 à l’Hôpital des pèlerins de Pons (17), le 24 à la citadelle de Vauban de Blaye (33), le 25 à l’église saint Martial de Tauriac (33), le 26 à l’abbaye de Saint-Ferme (33), le 27 à l’église saint Michel du vieux Lugo de Lugos (33), les 30 juin et 1er juillet au berceau de saint Vincent-de-Paul à Saint-Vincent-de-Paul (40), le 2 à l’église Notre Dame d’Arancou (64) et le 3 juillet à la chapelle du refuge des franciscains de Saint-Palais (64).


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