holybuzz
Accueil du site > Art et Culture > Théâtre > Théâtre : Dis leur que la vérité est belle

Théâtre : Dis leur que la vérité est belle

vendredi 28 mai 2010, par Pierre François


« Dis leur que la vérité est belle » [1] est un petit joyau. Qui n’est pas sans rappeler « Adèle a ses raisons », œuvre de la même troupe. Le point de départ est l’enterrement à Créteil de la mère du héros, juif pied-noir. À partir de là remontent une multitude de souvenirs d’enfance et de jeunesse, dans le plus grand désordre chronologique.

Il y a dans cette pièce une dimension onirique qui la rend proche du conte, cruelle aussi, comme ces derniers. Car si la mère meurt aujourd’hui, le fils narrateur est né à Alger en 1955... Il a eu le temps de voir un bonheur ébranlé, puis un arrachement dont personne ne s’est jamais remis.

La pièce, déjà toute en finesse, a ceci d’encore plus intelligent qu’au lieu d’aligner les références à une culture particulière (il y en a quand même quelques-unes, mais parfaitement compréhensibles par un goy), elle ouvre l’esprit sur le fait même de l’immigration. En cela, elle aide à comprendre également les déracinements maghrébins (« -Slimane, Salomon... vous ne seriez pas cousins par hasard ? -Éloignés... », in Les aventures de Rabbi Jacob) ou asiatiques.

Car c’est autant un spectacle sur l’exil que sur l’enfance perdue. Une enfance dans laquelle se sont réfugiés et le chroniqueur de cette vie familiale, et son propre père, dont la réussite en affaires était inversement proportionnelle à la volupté que lui procurait le jazz. Une enfance dont cette mort va le tirer, avec l’aide de sa fille qu’il découvre alors.

Les personnages sont immédiatement crédibles (y compris celui qui sort d’une bande dessinée), bien cernés, sans caricature, même si on se demande qui est la future mariée qui, objectant qu’elle n’aime pas son fiancé, se fait répondre qu’il a un magasin. Leçon indirecte quant au prétendu bon sens, puisque le couple devra, comme les autres, partir avec juste une valise à la main... Au rang des questions sérieuses, on trouve encore, et toujours aussi plaisamment exposé, un débat pour savoir si les Algérois sont Africains ou Français (de la France d’en bas). Et ce ne sont que deux exemples parmi tous ceux qui, sous le masque du rire, font réfléchir.

Le vocabulaire est riche et la langue précise, littéraire, illustrative et poétique : « Telle de l’eau sale par le siphon avalée » est une des façons de dire le décès de la mère. D’autres répliques sont plus quotidiennes et comiques : « - Il reste des makrouds ? - Les jeunes ont tout fini. - Et en plus, ils mangent... », « - Qu’est ce qu’elle a ? - Dix huit ans... ».

On est immédiatement embarqué dans ces souvenirs virevoltants, cette confusion entre le réel et l’imaginaire, ces décalages anachroniques, ce contexte qui pourrait être celui de n’importe quelle famille à n’importe quelle époque. Et on ne voit pas le temps passer... C’est un spectacle magnifique.

Pierre François

Notes

[1] « Dis leur que la vérité est belle », de Jacques Hadjaje. Avec Isabelle Brochard, Sébastien Desjours, Anne Didon, Anne Dolan, Guillaume Lebon, Delphine Lequenne, Laurent Morteau. Mise en scène de Jacques Hadjaje. Du mardi au samedi à 21 h 30, dimanche à 15 heures au Lucernaire, 53, rue N.-D. Des champs, 75006 Paris, tél. : 01 45 44 57 34, jusqu’au 3 juillet.


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette