Théâtre : Derniers remords avant l’oubli

« Derniers remords avant l’oubli » [1]est une très belle pièce. Elle le peut, elle qui a obtenu le prix jeune metteur en scène 2009 et été lauréate du prix du public du Théâtre 13. La scène évoque un chantier au milieu duquel un vieux lit en fer défoncé supporte un homme et abrite une collection de livres. Un peu plus tard sera installé une table faite de deux tréteaux et d’une porte.

Arrivent deux couples. Tout le monde est content de se revoir, du moins le dit-on alors que déjà au moment des présentations des conjoints on sent un malaise planer. C’est que les trois qui ont vécu à la mode de Jules et Jim du temps de leur jeunesse sont là pour décider du sort de la maison qui fut commune. Entre restes d’une complicité passée et ruine d’une amitié désormais morte, il reste des questions d’argent à régler, et le fantôme d’un enfant dont il est interdit de parler.

L’écriture de Lagarce est très bien mise en valeur, qui dit autant de choses par ce qu’elle affirme que par les hésitations dans les dialogues, voire les silences gênés. Comme le fit remarquer un des intervenants dans le débat qui suivait la pièce ce jour-là, l’auteur est très classique tout en sachant jouer des codes du théâtre ; ainsi la scène d’exposition donne-t-elle lieu à une présentation des personnages répétée à l’infini à travers des variations de ton et d’humeur.

Et jamais on ne s’ennuie, au contraire : il y a quelque chose de jouissif à comprendre le non-dit quand il est exprimé avec tant d’évidence. On rit aussi, devant des réactions si courantes et ridicules qu’on se croirait en famille (par exemple, la personne qui dit qu’elle ne dit rien après avoir fait un sermon ou qui dit qu’elle est d’accord avec tout le monde après s’être emportée).

Tantôt les conversations sont périphériques, tantôt entre l’un et le reste du groupe, tantôt encore entre deux des anciens membres de l’ancienne communauté. C’est toute l’évolution d’une ambiance qui est ici montrée avec beaucoup de talent, sur un rythme sans faille.

Bref cette pièce est très réussie et ravira autant les amateurs de Jean-Luc Lagarce que ceux qui voudraient se familiariser avec son style théâtral.

Pierre FRANÇOIS