Théâtre : Cyrano de Bergerac à l’Épée de bois

« Cyrano de Bergerac » [1] au théâtre de l’Épée de bois est une pièce exceptionnelle. Cette œuvre est un mythe auquel il est périlleux de s’attaquer : nombre de spectateurs en connaissent des répliques – voire des tirades entières – par cœur et cherchent à retrouver l’émotion héroïque de telle ou telle mise en scène qui les a marqué .

La version ici proposée, si elle est contemporaine – costumes actuels, présentation des cadets par le capitaine sous forme d’un chœur sur une mélodie de la Légion étrangère, arrivée du père capucin en chantant le cantique « les mains ouvertes devant toi Seigneur », accompagnement jazzy de certains passages – restitue parfaitement l’émotion sobre et forte de l’œuvre de Rostand. Le metteur en scène a simplement supprimé l’emphase qui parle aujourd’hui moins qu’une douleur muette, rendu certains passages plus comiques encore (par exemple l’assistant de Ragueneau qui lui sert la réplique « un bœuf en daube » tout en présentant une tête de porc), utilisé la lumière pour sculpter certains sentiments. Le personnage de Cyrano sait introduire un soupçon de slam dans sa diction, juste assez pour actualiser sans caricaturer le rôle. Le mûrissement de Roxane, de jeune fille superficielle en femme mondaine puis posée, est à la fois original et conforme au texte.

Les coupes faite dans ce dernier – la pièce est ramenée de trois à deux heures – sont quasiment invisibles, tout au plus remarque-t-on que la tirade qui se termine par « le quart d’heure est passé, le mariage est fait » a été tronquée. Quelques mots ont été actualisés et on entend parler de « pif » ou de « colonel », mais le dosage a été assez subtil pour que rien ne choque, qu’on écrase une larme à la mort de Christian et qu’on pleure à la lecture de la dernière lettre de Cyrano. Dernière trouvaille : Cyrano ne tombe pas, il passe directement de la réplique finale « le panache ! » au salut. Car il est éternel...

Pierre FRANCOIS