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Théâtre : Brecht naturaliste

vendredi 18 janvier 2008, par Pierre François


« Jean la Chance » est l’image d’une humanité simple, distrayante, immédiatement compréhensible. Cette vision est-elle vraie pour autant ?

« Jean la Chance » [1] est une pièce de jeunesse de Brecht, retrouvée il y a une dizaine d’années. Inachevée, elle était néanmoins assez avancée pour pouvoir être publiée dans ses œuvres complètes, voire mise en scène. C’est ce qui arrive aujourd’hui à cette réflexion sur la viabilité de la bonté dans un monde cruel, qui trouva son achèvement avec « La bonne âme du Se Tchouan ». Que Jean-Claude Fall présente son héros comme l’incarnation de la bonté, de la simplicité et de la naïveté est un fait. Qui aboutit à cette phrase entendue à la sortie de la représentation « heureux les simples d’esprit », entendue bien évidemment dans son sens le plus réducteur, c’est-à-dire à l’inverse de son sens originel (sinon comment la concilier avec la parabole du gérant habile ?).

Dès le premier échange (la pièce est une successions de faux échanges, qui dépouillent le héros de plus en plus, à mesure qu’il continue de proclamer tel Pangloss que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles), on réalise que laisser sa femme partir avec un inconnu alors qu’elle vous demande de l’aider à rester révèle une considération assez limitée pour celle que l’on aime associée à une lâcheté quasiment illimitée. Rien à voir avec de la bonté ou de la naïveté. Ni même avec de la débilité : les vrais débiles survalorisent leur vie affective. Brecht ne vivait pas au temps de l’Empire romain, quand le général dont la femme était stérile empruntait celle de son capitaine le temps de se susciter une descendance. Il est d’autant moins pardonnable de donner de la femme une image d’objet dominé par des pulsions. Et les élans généreux de l’une ou l’autre ne rattrapent pas le sentiment général qu’il suscite, certes avec beaucoup de légèreté.

Car si on laisse de côté cette discussion sur le fond, il faut quand même avouer que cette pièce est fort bien jouée : longue de presque deux heures, elle ne permet pas au spectateur de réaliser que le temps passe. De plus, les rebondissements successifs ne lassent à aucun moment. Le jeu des comédien est homogène et bon. Les lumières sont tout à fait soignées, qui participent activement à la création des ambiances. Par contre, les premiers chants ne sont pas compréhensibles et les décors peints trahissent trop le caractère de fable philosophique de la pièce. On est dans un univers plaisant, naïf, naturaliste, dans lequel les sentiments sont nus, la sexualité et le mensonge gouvernant le monde. C’est séduisant philosophiquement, très amusant à entendre, mais le mensonge le plus réussi est toujours celui qui mêle vérité et vraisemblance à la fausseté. Et aucun système philosophique ne rendra jamais compte de la vérité de l’homme : il est bien trop complexe. En ce sens cette pièce est un exploit : c’est un exposé philosophique (qui n’a donc pas sa place sur une scène de théâtre) qui réussit à ne pas ennuyer (et même qui amuse beaucoup).

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] « Jean la Chance », de Bertolt Brecht.Avec David Ayala, Mihaï Fusu, Patty Hannock, Dominique Ratonnat, Roxane Borgna, Fouad Dekkiche, Jean-Claude Fall, Isabelle Fürst, Fanny Rudell, Luc Sabot. Musiciens : Patrice Antonangelo, Anne-Sophie Courderot, Anne Le Pape, Ghislain Hervet, Romain Joutard, Haki Kilic, Luc Sabot. Du mardi au samedi à 20 heures, sauf le jeudi à 19 heures, dimanche à 16 heures jusqu’au 3 février au théâtre D’Ivry Antoine Vitez, 1, rue Simon Dereure, 94200 Ivry, M° : Mairie D’Ivry. Places à 19 €, 12 € (autochtones, seniors, groupes), 9 € (chômeurs, étudiants, scolaires).


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