Théâtre : Soeur Emmanuelle à la crypte St Sulpice

Il est difficile de réaliser la biographie d’une personne qu’on admire sans tomber dans l’hagiographie. C’est pourtant que que parviennent à faire Michaël Lonsdale et Françoise Thuriès au sujet de sœur Emmanuelle.

« Sœur Emmanuelle, le temps du plus grand amour » [1] est le dernier spectacle de Françoise Thuriès mis ne scène par Michaël Lonsdale. Comme le titre le laisse entendre, il s’agit d’une biographie de la religieuse qui était aussi mondialement connue que sa liberté de ton. Ce spectacle est une vraie performance : dans des lumières fixes et sans bande sonore, avec pour tout décor deux chaises, autant de bancs et un tapis, Françoise Thuriès capte son public et ne le lâche pas. Elle a pris comme matière première le livre posthume de sœur Emmanuelle en tentant, malgré les coupes inévitables, de rester fidèle à son esprit. A travers le ton de sa voix et une mise en scène limitée par la configuration particulière du lieu (une crypte magnifique qui commande une scène plus large que profonde), c’est toute une vie qui la traverse, avec ses moments d’enthousiasme, de doute, de colère, et bien souvent d’action de grâce...

Il est à noter combien elle parvient bien à rendre un personnage autant charnel que spirituel, nous le rendant si fraternel, presque familier. Mais elle ne se contente pas d’interpréter la religieuse, elle joue aussi le rôle de tous ses interlocuteurs et même celui de la récitante. Pourtant, à aucun moment il n’y a de confusion, au contraire, on croit voir s’animer devant nous une de ces scènes de la vie quotidienne qui font la qualité d’une rencontre. Le récit est bien rythmé, on passe sans encombre de l’enfance à l’adolescence et au combat contre des sens qui demandent leur dû, puis au discernement combattif et enfin aux différents moments d’une vie ponctuée autant par l’obéissance que par un cheminement aux côtés de supérieures intelligentes. Sa naïveté et sa spontanéité sont très bien rendues, sa bataille contre le doute aussi. Et le fait qu’elle n’arrive chez les chiffonniers du Caire qu’à 62 ans est un enseignement pour toutes les personnes impatientes d’arriver à accomplir leur vie. Peut-être la recette pour arriver au but tient-elle dans ces quelques citations glanées au cours du spectacle : « fends le cœur de l’homme, tu trouveras le soleil » (dicton persan), « descend dans ton cœur, tu y trouveras la flamme d’amour […] celui qui aime ne meurt pas ».

Complicité de comédiens

Quand on interroge l’interprète en le metteur en scène, on est frappé par la façon dont leurs propos sont complémentaires, chacun dans son domaine. Pour Françoise Thuriès, le choix du sujet s’est imposé à cause de la joie qui émane de la religieuse. Et même si elle ne l’a jamais rencontré physiquement, elle reste frappé par la façon dont elle était capable, dans les émissions télévisée, d’être à tu et à toi avec tout le monde, sans aucune affectation. Et si elle a un regret, c’est d’avoir dû éliminer de son spectacle, pour des raisons de durée, les propos sur la vieillesse et son examen de conscience. De son côté, Michaël Lonsdale, qui a eu l’occasion de rencontrer la sœur y compris sur des plateaux de télévision, explique comment le spectacle s’est créé en se répétant, en laissant venir les interprétations possible et en valorisant ce qui était le plus juste, mais jamais en forçant Françoise Thuriès à faire une chose qu’elle ne sentait pas (le fait qu’ils se connaissent depuis de nombreuses années explique aussi la possibilité d’agir ainsi). Enfin, ils expliquent tous deux que l’ambition de la pièce est d’être une approche, pas une description.

Pierre FRANCOIS