Au-delà de la tragédie.
« D’autres jours viendront » est la pièce biographique d’une famille d’exilés. Il y a la grand-mère, Anita, qui a quitté le Chili avec son mari et ses deux enfants quand son frère a disparu, la mère, Andréa, qui a vécu plus longtemps en France qu’au Chili, et la fille, Alma, qui a eu besoin de découvrir ses racines.
Le spectacle ne peut donc pas évoquer autre chose qu’une tragédie nationale et familiale. Mais on est dans le monde latino. Et, parce que c’est « culturel », ainsi que le dit la fille, on chante de tout. Y compris des tragédies. D’ailleurs, c’est le piano qui occupe le centre de la scène. C’est là que se situe la différence avec une comédie musicale ou un récital : dans l’épaisseur du récit qui est transcendé par le chant.
Ce spectacle, très documenté sur le fond – archives familiales et nationales s’enchevêtrent – est dynamique et entraînant. Les airs qui y sont chantés et parfois dansés sont tantôt ceux qui avaient cours dans le milieu artistique de l’époque, tantôt ceux composés par la grand-mère. Rien d’idéologique dans ce récit, qui donne à entendre certains témoignages se contredisant ou se complétant selon les moments, car on reste sans cesse dans l’humain. Quant à la forme, peut-il y avoir des personnages moins incarnés que ceux qui ont exploré leur propre passé au point d’en éprouver une gêne au début des répétitions ? Peut-il y avoir un spectacle moins vivant ou moins rythmé que la reconstitution chantée et dansée d’une famille latino ? Les éclairages et le décor, aussi discrets que significatifs, servent efficacement le contexte.
On remarque que le récit est au féminin : ce sont trois regards de femme qui nous le livrent. Pour une raison simple : l’autrice – la mère – avait entendu les hommes en parler pendant toute sa jeunesse et, quand elle a interrogé la grand-mère pour mettre de l’ordre dans tous ces épisodes, cette dernière lui en a fait découvrir d’autres, qui ont finalement cimenté le spectacle.
Enfin, la tragédie est narrée sans grandiloquence, mais au contraire avec des mots simples pour dire des sentiments que n’importe qui peut ressentir. Ainsi la grand-mère qui énonce « ni oubli, ni pardon » en conclusion du spectacle et s’en explique ensuite : « parce qu’il n’y a pas eu de justice ». La tragédie n’est pas finie, la blessure n’est pas refermée. Mais on sait vivre.
Pierre FRANÇOIS
« D’autres jours viendront » tous les jeudis, vendredis et samedis à 20 h 30 et les dimanches à 17 h 30 jusqu’au 15 décembre au Théâtre El Duende, 23, rue Hoche, 94200, Ivry-sur-Seine. Métro Mairie d’Ivry, puis huit minutes à pied par la rue Gaston Cornavin. Bus ligne 132/323, arrêt Jean Le Galleu, puis trois minutes à pied. Tram T9, arrêt Briquetterie ou cimetière parisien, puis huit minutes à pied.
Musiques originales et direction musicale : Anita Vallejo. Dramaturgie, mise en scène et mise en écriture : Andrea Castro. Création et montage sonore et visuel : Alma Kerouani. Recueil de textes tirés du livre sur le Théâtre Aleph : Archéologie d’un rêve – la mémoire et l’exil de Luis Pradenas. Conseiller scientifique : Antoine Rivière, historien. Avec : Louise Bauduret, Mathieu Cabiac, Andrea Castro, Sebastian Castro-Vallejo, Alma Kerouani, Mehdi Kerouani, Sébastien Naud, Anita Vallejo. Musiciens en alternance : Anita Vallejo (Piano), Luis Pradenas (Guitare et Charango), Timothé Durand (Basse), Olena Powichrowski (Flûte traversière), Jesus Muñoz (Violon), Soheil Trabrizi-Zadeih (Trompette), Ruben Castro (Percussions), Pascal Camors (Trombone), Christophe Defays (Contrebasse). Création lumière : Romain Thomas. Scénographie : Louise Bauduret. Son : Vanina Adrover – Deck Oner. Remerciements : Famille Vallejo – O’Ryan – Castro.
Photo : Pierre FRANÇOIS