Génial, homosexuel, persécuté.
« La Machine de Turing » est une pièce à trois entrées. On y parle à la fois de la façon dont un génie mathématique anglais est parvenu à casser le code de la machine Enigma inventée par les Allemands pendant la dernière guerre pour chiffrer leurs transmissions. On y montre comment Turing, se dirigeant déjà vers l'invention de l'ordinateur, réfléchissait sur le thème « Les machines peuvent-elles penser ? ». Enfin, et cette dimension sous-tend les deux autres au point de finir par devenir l'objet principal de la pièce, il y est question non pas de la condition, mais bien de la persécution des homosexuels dans l'Angleterre des années cinquante.
On regrette deux maladresses. D'une part, un des comédiens passe régulièrement de son personnage au récitant, voire au commentateur, ce qui empêche de croire aussi totalement à son rôle qu'à ceux interprétés de façon classique par son partenaire. D'autre part, même si le fait n'est pas caricatural, le jeu montre un homosexuel mal dans sa peau face à des hétérosexuels plutôt équilibrés en comparaison de son mal-être (dû en fait à son caractère de génie original).
Le spectacle est pourtant très prenant et passionnant – c'est ce qui s'appelle le talent – même s'il est à aller voir un jour où le moral est bon : on est terrifié de constater qu'on parle ici d'un ordre social encore récent qui a abouti au suicide de l'intéressé et par conséquent au fait que notre société n'a bénéficié de l'invention de l'ordinateur qu'avec retard.
Pierre FRANÇOIS
« La Machine de Turing », de Benoît Solès. Avec Benoît Solès et Amaury de Crayencourt. Mise en scène : Tristan Petitgirard. Du mardi au samedi à 21 heures, dimanche à 16 heures au Théâtre Michel, 38, rue de Mathurins, 75008 Paris, tél. : 01 42 65 35 02, www.theatre-michel.fr
Photo : Fabienne Rappeneau.